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Les paysages et le climat
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[sommaire]

Des conditions climatiques qui contribuent à dessiner les paysages

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Un climat rigoureux océanique à influence continentale, contrasté

La Lorraine est [bleu violet]un territoire de transition entre le climat continental et le climat océanique[/bleu violet]. Les pluies sont importantes en automne et en hiver. Les températures sont très contrastées avec des hivers froids et des étés très chauds typiques du climat [bleu violet]semi-continental[/bleu violet]. L’amplitude moyenne annuelle est évidemment plus forte à Nancy (17°,5) qu’à Paris (16°) ou en Bretagne (10°).
Ce sont [bleu violet]les extrêmes qui caractérisent le climat Lorrain[/bleu violet]. Le jour le plus froid se situe à la fin de janvier (moyenne de 1,8°C à Nancy en janvier) et le plus chaud en juillet (moyenne de 18,7°C à Nancy en juillet, source : Météo-France, relevés à Nancy-Essey 1971-2000). La région ne connaît en quelque sorte que deux saisons : l’hiver et l’été. Les variations de la température s’opèrent souvent d’une façon brusque. Les pluies les plus prolongées sont celles de la fin de l’automne et de l’hiver, où les précipitations sous forme de neige sont relativement fréquentes, modifiant la physionomie des paysages (voir Les paysages au fil des saisons)

L’influence climatique sur les paysages

© Agence Folléa-Gautier Paysagistes-Urbanistes - Conseil Général 54

Vergers en fleurs égayant le printemps lorrain, Villers-sous-Prény

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Floraison printanière, Ville-sur-Yron

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Couleurs tendres des nouvelles pousses au printemps, Mance

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Champs mûrs de céréales et pâtures, Agincourt

Les paysages de Meurthe-et-Moselle sont en partie dessinés par ces spécificités climatiques départementales. Les lumières tamisées, associées aux tonalités plutôt pastel des grands espaces cultivés, et aux transitions en fondu-enchaîné dominantes, impriment aux paysages leur douceur et leur subtilité. [bleu violet]Les saisons marquées[/bleu violet], notamment l’hiver et l’été, produisent des contrastes d’autant plus puissants que les mi-saisons de printemps et d’automne paraissent brèves ; [bleu violet]aux grandes étendues enneigées, silencieuses et monochromes, succèdent de vastes perspectives colorées par les champs mûrs de céréales[/bleu violet]. Ces [bleu violet]contrastes saisonniers[/bleu violet] sont favorables aux [bleu violet]arbres fruitiers[/bleu violet], notamment aux mirabelliers, qui, depuis le XVe siècle, égayent les printemps de leurs floraisons blanches, dessinent de gracieuses calligraphies sur les versants et constituent une des cultures emblématiques de la Lorraine. La forêt, généreusement présente, réserve ses splendeurs pour l’automne, grâce aux feuillus dominants et leurs couleurs chatoyantes, rehaussés par les silhouettes des sapins et des épicéas dans le piémont Vosgien. Elle apparaît aussi séduisante au printemps, grâce aux verts frais des nouvelles pousses qui contrastent puissamment avec les verts sombres des résineux.

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Dans la mesure du possible, la rue prend une orientation est-ouest, Lucey

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Les vastes maisons permettent d’abriter les hommes, les bêtes et les récoltes

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Hormis la porte de grange monumentale, caractéristique des villages lorrains, les ouvertures sont réduites au minimum afin de se protéger du froid en hiver

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Vergers cultivés sur les coteaux abrités des Côtes de Toul, Mont-le-Vignoble

La recherche du soleil et de la chaleur, pour habiter comme pour cultiver, rend particulièrement précieux les [mauve fonce]versants[/mauve fonce], abrités des vents froids, bien exposés au sud. C’est là que s’affichent volontiers les villages, à proximité immédiate des sources mais buvant aussi le soleil, chaudement environnés de leurs couronnes de [bleu violet]vergers[/bleu violet], voire de [bleu violet]vignes[/bleu violet]. Les rues cherchent la direction est-ouest ou sud-ouest/nord-est, de façon que les bâtiments présentent un pignon aveugle face aux vents dominants d’ouest et de sud-ouest, tout en offrant une façade ouverte au sud pour bénéficier au mieux de l’ensoleillement.
[bleu violet]Les maisons même sont en partie filles du climat[/bleu violet] : les hivers rudes et pluvieux les ont rendu vastes et généreuses, avec granges et étables accolées au logis d’habitation pour pouvoir stocker le fourrage, les récoltes et abriter les animaux pendant de longs mois sans sortir. Hormis la porte de la grange, monumentale et imposante, les ouvertures sont réduites au strict minimum afin de se protéger du froid en hiver.

Variations climatiques et variations paysagères

Comme l’écrit Alain Godard dans la Revue géographique de Lyon (1951), la Lorraine voit se produire – de par sa position de carrefour – une lutte d’influences climatiques, d’autant plus difficile à saisir que le relief multiplie les nuances, crée des variétés, en faisant apparaître des contacts francs et même brutaux, en favorisant certaines pénétrations. Sans cesser d’appartenir au continent, le climat lorrain se laisse largement baigner par les effluves océaniques. Et c’est en définitive à ce caractère mixte aussi net et dans les facteurs météorologiques généraux et les types de temps que dans les microclimats et la biogéographie, qu’il doit son aspect original et parfois déconcertant.

[bleu violet]Cette complexité du climat régional explique en partie la diversité des paysages et des sites rencontrés en Meurthe-et-Moselle[/bleu violet]. Le Piémont Vosgien, mais aussi les plateaux des revers de côtes, sont ainsi plus arrosés que les vallées en formant les premières barrières rencontrées par les masses d’airs océaniques chargées d’humidité venues de l’ouest. Le piémont des Vosges reçoit ainsi plus de 1200 mm de pluie (et même jusqu’à 2000 mm sur les sommets). D’une manière générale, l’extrémité sud-est du département est ainsi plus arrosée que le reste du territoire avec des moyennes de 1000 mm contre 740 mm pour Nancy. A l’inverse, un îlot plus sec se retrouve sur la partie centrale du département, au nord de Nancy, avec 650 mm de pluie par an.

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Pelouses calcaires en front de côte, Pont-Saint-Vincent

Mais les [bleu violet]microclimats[/bleu violet] naissent avant tout des reliefs : les fronts de côtes exposés au sud de la vallée de la Moselle et des côtes de Toul présentent des conditions plus sèches et ensoleillées favorables à la flore [bleu violet]thermophile[/bleu violet] avide de chaleur : on peut y noter la présence de chênes pubescents, de cerisiers de Sainte-Lucie ou d’amélanchiers. À l’inverse, les vallons froids du massif de Haye et des Côtes Meuse accueillent une végétation de type submontagnard avec des érables, des ormes de montagne, des sorbiers des oiseleurs (source : A. Godard).

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Le microclimat privilégié des côtes

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Village et vignoble à l’abri des vents dominants sur les Côtes de Toul, Domgermain

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Village blotti au creux des Côtes de Moselle, à la confluence de l'Esch et de la Moselle (Jezainville)

Les fronts des côtes de Meuse et de Moselle, orientés à l’est, à l’abri des vents dominants d’ouest, offrent un microclimat plus chaud et sec. Ces coteaux ont été favorables à la culture de la [bleu violet]vigne[/bleu violet] qui se développe sous l’Antiquité romaine. Plus tard, une surface importante du vignoble, concurrencé par les autres régions françaises et fragilisé par la crise du phylloxéra au début du XXème siècle, sera remplacée par les vergers et les côtes se couvriront de mirabelliers. Seules les Côtes de Toul abritent encore un vignoble avec [bleu violet]des vins d’Appellation d’Origine Contrôlée[/bleu violet], et en particulier les fameux "Gris de Toul".

Les saisons et les paysages

Avec ses saisons marquées et contrastées, la Meurthe-et-Moselle présente des paysages qui varient profondément au fil de l’année. La [bleu violet]littérature[/bleu violet] en témoigne particulièrement bien, en liant étroitement la description des paysages aux saisons qui passent. Elle offre ainsi des tableaux sensibles et changeants avec le temps. On l’illustrera ici par deux auteurs, qui ont chacun choisi de dérouler leur roman sur les quatre saisons d’une année : Maurice Barrès, avec « La colline inspirée » (1913- Editions Pierron 1985), et Emile Moselly, qui obtint le Prix Goncourt en 1907 avec « Terres Lorraines » (Ed. Plon 1907).

L’hiver

« Connaissez-vous la rude allégresse de gravir les pentes de la colline par une courte après-midi glaciale de l’hiver ? Il semble que vous reculiez dans les parties les plus reculées de l’histoire. Le ciel est couvert d’épais nuages qui naviguent et sous lesquels des troupes de corneilles, par centaines voltigent, allant des sillons de la plaine jusqu’aux peupliers des routes, ou bien s’élevant à une grande hauteur pour venir tomber d’un mouvement rapide, au milieu des arbres qui forment, sur le sommet, le petit bois de Plaimont. Par intervalles, un vent glacé balaye la colline en formant des tourbillons d’une force irrésistible, et il semble que tous les esprits de l’air se donnent rendez-vous là-haut, assurés d’y trouver la plus entière solitude. C’est un royaume tout aérien, étincelant, agité, où la terre ne compte plus, livré aux seules influences inhumaines du froid, de la neige et des rafales ».

« C’était un jour d’hiver à quatre heures, et une neige glacée couvrait de sa blancheur la montagne et tout le pays. (…) Les objets, à demi effacés par la brume, semblaient reculer vers un passé lointain, dans un espace immense. Tout jusqu’au vent terrible de Lorraine, jusqu’au vague scintillement de la lune, semblait s’accorder pour donner au paysage une teinte de sauvagerie bizarre et presque fantastique, un vrai dies irae. »

La colline inspirée - Maurice Barrès, 1913 - Editions Pierron 1985

« Il avait dû geler fort, la nuit précédente. Les toits des maisons, les brancards des chariots, la paille des fumiers saupoudrés de givre fin miroitaient doucement dans le jour. Un soleil rouge s’éborgnait aux cerisiers de la côte, dont les branches glacées ressemblaient à de grands lustres de cristal. Mais l’astre eut le dessus, il fondit la carapace de verglas qui emprisonnait les choses, et la campagne apparut, déroulant ses ondulations monotones sous le soleil. Ils traversèrent la Moselle dans la vieille barque et s’engagèrent dans la vallée étroite qui conduit à Bicqueley. Des brumes tournoyaient comme des fumées à la surface du Bouvade, montrant la place où des sources qui ne gèlent jamais se déversent dans son lit. Les colchiques d’automne jetaient une lueur violette dans les fonds humides des prés. Par place une charrue abandonnée à l’extrémité d’un champ, avait un air de mélancolie, au milieu des labours sans fin, alignant leurs sillons de terre brune. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« L’hiver vint tout d’un coup. La chute des flocons de neige commença, emportés d’un vol cinglant et capricieux, comme des mouches. Puis ils tombèrent si dru qu’on ne voyait plus les côtes ; et les peupliers apparaissaient noyés dans une blancheur. Puis la tombée de la neige cessa : le ciel s’éclaircit et les champs s’étendirent, leurs ondulations s’adoucissant encore sous cette couche glacée. Des fumées montaient dans l’air froid, révélant la place où des villages étaient ensevelis. Jamais il n’était tombé tant de neige que cette année-là. Dans les jardins ouverts au vent, elle montait jusqu’au toit, murant les portes des " bougeries ". Les gens ne sortaient plus, se calfeutrant auprès du poêle de fonte. Le soleil rouge, sans rayons, descendait dans le couchant pareil à une plaque de cuivre. L’air même paraissait mort, sans bruit. Les nuits étaient fourmillantes d’astres. Les vieux noyers se fendaient dans leurs vergers, et ils éclataient avec des craquements terribles. Au milieu de cette blancheur immense étalée sur les terres, la Moselle roulait ses eaux jaunâtres, livides, plombées ; des glaçons tournoyaient dans les places tranquilles, froissant les tiges des roseaux secs. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Ils s’étaient promenés aussi, par les après-midi de dimanche clairs et froids sur les bords de la Moselle, poussant même jusqu’à la forêt, scintillante et magique, sous le givre cristallisé qui s’attachait aux branches. Ils se taisaient, remués par le silence illimité des combes, par cet engourdissement des bois morts, des clairières blanches, où ne montait aucune fumée, où ne sonnait aucun bruit. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

Le printemps

« Mais vienne le printemps et ses longues journées molles, chargées de pluie, chargées de silence. Sur les branches encore nues et sur la terre brune, tout se prépare à surgir, précédé, annoncé par l’aubépine dans les ronces et par l’alouette dans le ciel. La pluie, toujours la pluie ! La plaine et les villages se recueillent sous les longues averses qui flattent leur verdure. Journées d’indifférence et de monotonie, où les vergers et les prairies et toutes les cultures, sous un grand ciel chargé d’humidité, sommeillent et nous présentent un visage de douceur, de force et de maussaderie. Le printemps est triste en Lorraine, ou du moins sévère ; la neige, à tous instants, passe encore dans le ciel et prolonge ses derniers adieux. Vers la fin des plus belles journées, il n’est pas rare que l’hiver, dans un dur coup de vent, revienne montrer sa figure entre les nuages du soleil couchant. (…) Quand le soleil brille au-dessus de la terre mouillée et que les oiseaux s’élancent et font ouïr la fraîcheur toute neuve de leurs voix, nous respirons, dans l’averse qui vient de passer, une force prête à se développer, une vigoureuse espérance, un long espace de plaisir, qui va de puis les coucous et les marguerites d’avril jusqu’aux veilleuses de septembre. »
La colline inspirée - Maurice Barrès, 1913 - Editions Pierron 1985

« Le printemps revenait, le printemps lorrain, hésitant et furtif, sans couleur et presque sans joie, grelottant sous des averses continuelles, risquant de temps à autre un rayon de soleil, comme un regard timide, entre les nuées grises, qui traînaient sur les bois. D’autres pays ont des avalanches de lumière croulant du ciel, de larges manteaux de fleurs aux couleurs
éclatantes, des odeurs tournoyant sur l’alanguissement universel des choses. Mais dans la pauvre Lorraine, les premières fleurs naissent, frileuses et transies, au fond des taillis où les
neiges s’amoncellent. »

Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Rien n’égale le charme mélancolique des longs hivers finissants, alors que des clartés semblent rôder continuellement au bord de l’horizon, et n’osent pas venir. (…) Déjà dans les taillis, alors que les arbres ruisselants étaient vêtus de mousses humides et que les branches se teintaient à leurs extrémités de nuances violacées, le joli bois devait montrer sa quenouille de fleurettes roses. Puis ce seraient les anémones, si frêles que leur neige se fond, au seul contact des doigts. La belle saison tout à fait revenue, ce seraient des crépuscules sans fin, baignés de lumière blanche, rayés du vol criard des hirondelles rasant la terre, et les peupliers verseraient de grandes ombres sur la prairie. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« C’était ainsi chaque année, au printemps ! On eût dit que l’universelle éclosion faisait pousser en elle des semences enfouies. Par les brèches du mur, elle voyait la campagne humide, les labours détrempés, où du soleil ruisselait par moment au creux des sillons. Une vague rumeur montait, un bruissement confus qui était comme un murmure de vie recommençante. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Le printemps était seulement dans le ciel, rien ne l’annonçant sur la terre. Le soleil entrait
largement dans les bois, criblant d’une pluie de rayons les amoncellements de feuilles sèches. A peine si par endroits une anémone blanche avait jailli de la terre. Seulement des chatons, une sorte de chenille grisâtre pendait aux branches des noisetiers et les massifs de cornouillers étaient comme saupoudrés d’une fine poussière jaune. Cela aussi était une fleur étrange dans ce pays froid, une sorte de mimosa plus pâle et plus grêle que l’autre. »

Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Cette fois le printemps était revenu. L’herbe des prés était d’un vert lourd, luisant, tout neuf. Des touffes de primevères le nuançaient par places de jaune pâle et, dans les creux humides, des pieds de cochléaria avaient poussé, étalaient sur les eaux leurs grappes couleur de lilas. C’était dans les hauteurs de l’air une lente débâcle de nuages, emportés par des souffles tièdes et qui s’effilochaient en lambeaux de brumes. Le ciel d’étain qui avait pesé sur les campagnes pendant tout l’hiver, comme un couvercle, s’ouvrait, se fondait, se pénétrait de lumière. La vie recommençait. On voyait dans les chemins des bandes de vignerons, guêtrés de coutil et la serpette au genou, allant bêcher leurs vignes. Leurs houes, sur leurs épaules, avaient des luisants d’acier, poli par le frottement des terres. Sur la blancheur des coteaux lavés par les pluies d’hiver, les carrés fraîchement remués se détachaient vigoureusement. Quand un nuage cachait le soleil, une fraîcheur glacée passait dans l’air. Alors les vignerons, abrités derrière les tas d’échalas pour le goûter, allumaient des feux de sarments, dont la fumée bleue courait au ras des terres. Puis venaient des coups de soleil, éclatants et splendides, qui fouillaient la campagne, réchauffaient les toits de tuile, pénétraient au fond des bois, allant éveiller partout le frémissement de la vie universelle. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« La rivière aussi avait pris un aspect printanier. Les eaux coulaient à pleins bords, accrues par la fonte des neiges ; par endroits elles inondaient la prairie et sous les branches des saules garnies de la laine floconneuse des chatons, des courants glissaient, avec un petit bruit, un frissonnement de chose vivante. Comme si la vie s’y était éveillée, les eaux perdaient cette transparence glacée qui leur est propre en hiver. Aux endroits profonds, elles prenaient une teinte plus lourde et plus chaude. La rivière s’étalait parfois sur de longues grèves plates où le soleil ruisselait, se prenait dans un frémissement innombrable de petites vagues ; des bandes de chiffes et de chevaines sortis des grands fonds venaient frayer là, dans ces eaux tièdes. On voyait leur dos noir sortant parfois des eaux courantes, parmi les galets. Par moments toute la file serrée ondulait, parcourue du même mouvement qui montrait les ventres blancs et le bout des nageoires, et les eaux fécondées ruisselaient derrière eux, comme une traînée de lait. Le chant du coucou montait sur la côte, deux notes vibrantes, solitaires, qui sonnaient dans la profondeur des taillis. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

L’été

« Là-haut, tout est facile, agréable ; c’est la saison pour errer vers Vaudémont, à travers les friches et sous les futaies de charmes, de noisetiers et de chênes, dans le joli bois de Plaimont. Bois charmant, désert et civilisé, où les sentiers sont aménagés en charmilles, où l’on s’attend à chaque pas, à déboucher sur un décor de vieilles pierres, sur quelque château entouré d’ifs taillés en boulingrins. En flânant, en rêvant, on gagne le Signal, le mamelon herbu qui marque les plus haut point de la colline. »
La colline inspirée - Maurice Barrès, 1913 - Editions Pierron 1985

« Midi sonna : les herbes lourdes de rosée, se desséchant, se redressaient peu à peu. Sous la flambée du soleil, des odeurs montaient, exacerbées par la chaleur ; des chênes abattus, saignant par leurs blessures, exhalaient le parfum amer du tan ; il s’y mêlait la senteur pénétrante des pins, suant leur résine, et cette odeur indéfinissable des bois morts qui pourrissent. Une vibration d’air chaud montait, où les arbres flottaient, où se déformaient curieusement les objets lointains. Sur l’accablement du soleil planait un murmure confus, un chant immense de bestioles bourdonnantes, pareil à la voix de la forêt, et parfois des coups de vent, venus de l’horizon, balayant toute l’étendue, faisaient sortir de la profondeur des bois un soupir confus, une plainte ardente et prolongée. Il faisait bon marcher sous le couvert des grands arbres. Pompées par le soleil, les brumes bleues se dissipèrent : tout au fond des combes feuillues, il n’y eut plus que le moutonnement sans fin des grands arbres, sous la monotonie de la lumière. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Les champs se revêtaient d’une parure mouvante. C’est le moment de l’année où la forêt déroule ses masses de feuillage d’un vert lourd, presque noir. Au bord des eaux, les saules laissent retomber lourdement leurs branches, dans un abandonnement. Les prés, que l’on va faucher, s’étalent sous les soleils couchants comme une mer blonde, teintée de roux aux endroits où poussent les oseilles sauvages, dont les graines mûrissent prématurément. Les ombres des grands peupliers s’y allongent avec le soir, et tournent lentement, à mesure que passent les heures. Puis ce sont des crépuscules aux clartés interminables. Le soleil est couché depuis longtemps qu’une lumière transparente et bleue baigne encore les choses, qui ont l’air de s’envelopper, avant le sommeil, de repos et de silence. Et les nuits viennent, claires comme des jours. On dirait que le soleil s’attarde au-dessous de l’horizon et continue à verser dans le ciel une lumière affaiblie, et parfois aussi ces nuits sont si trempées de rosée, que le firmament apparaît comme un globe de cristal bleuâtre, tout ruisselant de l’humidité nocturne : alors la nuit se fond en invisibles tendresses. (…) Quelques bruits montaient encore, étrangement vibrants dans la sonorité de l’air calme : une gaffe qui tombait au fond d’un bateau, une pierre à aiguiser passant sur l’acier d’une faux, le chant d’une caille, appelant sa couvée au creux d’un sillon. Les seigles déjà grands ondulaient sous des souffles imperceptibles, entrechoquant leurs têtes barbues, avec un froissement doux et monotone. Des pièces d’avoine alternaient avec des carrés de blé, d’un vert léger et tendre, où les souffles légers creusaient des houles. A de certains soirs tous les oiseaux chantaient avant de s’endormir. Les rossignols s’étaient tus, ayant élevé leurs couvées. Mais parmi le pépiement des moineaux, nichés dans les fentes des vieux murs et sous la tuile des toits, le chant du loriot gorgé de cerises sonnait parfois, comme un grand cri vibrant de volupté, un chant profond et tendre, qui faisait palpiter le coeur immense de la nuit. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Juillet était venu, étouffant. C’étaient des journées éclatantes, toutes pareilles dans la splendeur monotone de la lumière, au point qu’on pouvait croire que cette saison magnifique ne prendrait jamais fin. A midi, tout flamboyait dans l’immense accablement du soleil : chaque brin d’herbe, chaque tige des chaumes moissonnés, chaque silex du chemin jetait une étincelle. La terre avait soif. Elle se fendait par places, entrouvrant, au creux des sillons, de larges crevasses dans l’argile desséchée. Les sources, étaient taries, et des pierres moussues indiquaient leur emplacement, parmi les herbes flétries. (…) Puis des orages survinrent, promenant des nuées bleuâtres ou rosées qui donnaient au ciel, à travers les branches, l’éclat changeant d’une coquille de nacre. Ils rôdaient à l’horizon sans grondements de tonnerre, laissant tomber de petites pluies douces, qui rafraîchissaient la terre jusque dans ses entrailles. Alors elle respirait et les herbes flétries se relevaient, et la lune se levait sur les vignes mouillées, versait dans le val une inexprimable tendresse. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Midi sonna, le ciel bleu pâlit, devint tout blanc sous la flambée des rayons. Rien ne bougeait : les pierres des premiers plans rongées de mousses, les feuilles fines des coudriers, les brins d’herbe d’où montait un chant confus d’insectes, pareil à la vibration monotone de la lumière. Puis de grands coups de vent passèrent, venus de l’horizon, pareils à la respiration d’une poitrine géante, éveillant les choses éternelles, les roches, les champs, les bois, dont les masses roulèrent confusément. Apportant les odeurs des champs exaspérés par le soleil, l’odeur des fleurs qui ne durent qu’un jour et celles des arbres qui vivent des siècles, le vent les mêlait, les froissait, les éparpillait en lambeaux dans le vide immense, où des buses, dans leur vol planant, décrivaient lentement de grands cercles. Des cloches sonnèrent à la fois, dans tous les replis du sol. Les unes grêles, au son fêlé, répétant les mêmes notes de leurs voix chevrotantes, semblaient le radotage de vieux tombés en enfance ; d’autres, cuivrées, jetaient dans le vide un ouragan sonore qui balayait le plateau lorrain. D’autres sons encore montaient le long des parois verticales de la vallée, comme du fond d’un puits, éveillant des échos. On eût dit que toute cette musique, qui grandissait parfois dans les bouffées du vent et parfois s’éteignait, était l’âme ardente des champs, qui se révélait, dans le soleil. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

L’automne

« Rien n’égale les journées de septembre, si douces que l’on voudrait y ralentir l’écoulement des heures, et sans fin les respirer et les remercier. Dans ces journées clémentes, d’une qualité si fine de lumière et d’air, le passant ne croit pas aux sévérités prochaines de la nature, et déjà toute la montagne se prépare soucieusement à l’hiver. (…) Le grand jardin méthodiquement dépouillé prend sous les derniers soleils son aspect hivernal, et l’œil n’y trouve plus que de hautes tiges de choux qui peuvent impunément subir les gelées. Autour des deux auberges et dans les chenevières, où courent une multitude de volailles, l’humble vie rustique du plateau termine son cycle. Les petits bois nombreux frissonnent sous le vent qui les dépouille et répondent aux mouvements d’un grand ciel nuageux. Tout cherche son sommeil. »
La colline inspirée - Maurice Barrès, 1913 - Editions Pierron 1985

« Les jours d’un novembre lorrain, son ciel abaissé, son horizon rétréci composent l’atmosphère la plus favorable à l’épanouissement des puissances religieuses de l’âme. La pluie, le grand vent qui nous enferment entre quatre murs nous obligent, pour peu que nous en soyons capables à écouter les palpitations de notre vie. »
La colline inspirée - Maurice Barrès, 1913 - Editions Pierron 1985

« Il pouvait être sept heures du matin, en novembre. Une aube pluvieuse filtrait du ciel bas, noyait les champs d’une désolation infinie. Les chaumes grisâtres, lavés par l’automne, revêtaient la terre d’une toison hérissée, pareille à un vêtement de miséreux. La pluie cessait par moments ; alors une buée d’eau se levait des bois, dont le moutonnement ondulait dans les lointains ; puis une déchirure livide s’ouvrait au flanc des nuages ; la pluie tombait en un ruissellement de cataracte, comme si toutes les eaux du ciel s’étaient ruées par cette ouverture. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Un grand silence enveloppait les campagnes, le silence d’automne, avant-coureur du sommeil hivernal. Les bois lointains, les vignes, l’horizon des côtes reposaient dans un calme infini, une sérénité baignée de lumière. Et les fils de la vierge, se détachant des buissons, se déroulaient dans leur chute molle et sinueuse. Les dernières feuilles tombaient des arbres,
emportées par des souffles froids. Au fond d’un verger, quelques cerisiers, touchés par les gelées précoces, semblaient revêtus d’un rouge éclatant, pourpre somptueuse qui détonnait dans la nudité des campagnes. Une rumeur de vie courut de l’horizon, dans une flambée de soleil. Le vent léger charriait des sons de cloches, des claironnements de coqs, des appels de bateliers. Ce mystérieux appel réveillait la terre lorraine, suscitait la force fécondante endormie au creux des sillons, donnait l’illusion d’une splendeur fugitive de printemps. »

Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

Les grands froids ne venaient pas ; l’automne mourait dans la boue et dans la pluie. Le ciel bas pesait sur la terre, et les champs, vêtus d’ombres grises, avaient l’air de somnoler au long des jours. Une petite pluie tombait, fine et pénétrante, et les chènevières noyées dans cette poussière d’eau s’étendaient sous la clarté livide du crépuscule. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« La nuit tombait, cette nuit froide de novembre qui s’abat subitement sur les campagnes, amenant un cortège d’épouvantes. La rafale se leva hurlante, courbant les grands peupliers qui gémissaient dans le noir. Et des trombes furieuses déversèrent des torrents qui clapotaient, cinglaient avec un bruit mou l’argile des labours. On entrevoyait vaguement le village à travers un rideau de pluie. Les toits de tuile, dont la charpente s’était effondrée par endroits sous la pesée du temps, se serraient autour du clocher, comme un troupeau surpris par la tourmente. Fouettées par l’averse, les maisons se rapetissaient, s’écrasaient au ras du sol. Et la rafale redoublait, chassait sur le faîte des toits une poussière d’eau qui courait dans le vent, comme une fumée. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Le jour des morts, là-bas, en Lorraine. De tous les plis du sol montent des glas étouffés, qui traînent mélancoliquement sur les eaux, qui meurent dans l’air froid de cette matinée de novembre. Il semble que tous les bruits sont morts, tués par l’approche de l’hiver et, sur les prés roussis par les premières gelées, ne tournoient plus ces atomes impalpables, ces bestioles bourdonnantes, qui sont le pullulement de la vie universelle. Par moments de longs souffles froids passent, agitant les joncs flétris, entrechoquant les roseaux desséchés. Dressant sur le ciel la maigreur grelottante de leurs branches, les peupliers laissent tomber dans le vent, une à une, leurs feuilles jaunies. Et le fleuve entre ses rives de terre croulante, détrempées par les pluies d’automne, coule d’une fuite rapide, égale et monotone. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907

« Soudain, une brume descend dans le val : elle glisse lentement sur les bois, accrochant aux cimes nues des hêtres des lambeaux frissonnants que le vent effiloche ; puis elle se tasse sur l’eau, épaisse et molle comme une ouate ; les berges disparaissent sous ce rideau blanc, qui traîne sur la fuite des eaux, et que des mains invisibles semblent écarter par moments, pour le laisser retomber d’une chute plus lourde. Cela s’éclaircit, autour de la barque, dans un rayon de quelques mètres. Seuls, quelques lambeaux de brume tournoient à la surface de l’eau, pareils à des fumées ; puis le brouillard s’épaissit, devient un mur, et la coulée du fleuve le pénètre, y glisse, se dérobe et on l’entend bruire vaguement quelque part, au fond de toute cette blancheur. »
Emile Moselly, Terres Lorraines, Ed. Plon 1907